Déclaration du Ministre-Président à l’occasion de la session d’ouverture du Comité permanent de la Conférence des assemblées législatives des régions d’Europe

Déclaration du Ministre-Président à l’occasion de la session d’ouverture du Comité permanent de la Conférence des assemblées législatives des régions d’Europe
Session d’ouverture du Comité permanent de la Conférence des assemblées législatives des régions d’Europe. « La place des régions en Europe »

 

Monsieur le Président,

 

Mesdames et Messieurs les membres des assemblées législatives des régions d’Europe,

 

C’est un réel plaisir de pouvoir partager avec vous la réflexion que vous menez sur la place des régions dans les politiques de l’Union européenne.

 

Et sur le rôle éminent que pourraient jouer les parlements régionaux dans l’évolution positive de l’Union.

 

Ayant participé, comme Premier ministre de Belgique, à une vingtaine de sommets européens, j’ai pu observer la force et les faiblesses des réunions entre chefs d’Etat et de gouvernement.

 

En tant qu’actuel Ministre-Président de la Wallonie, et membre du Comité des Régions d’Europe, je mesure plus que jamais les richesses que représentent les régions, en particulier les régions à pouvoir législatif. 

 

Mesdames et Messieurs,

 

A la veille du 65ème anniversaire de la signature du Traité de Rome, l’Union européenne est à nouveau face à de grands défis.

 

Depuis 65 ans, l’Union a connu un grand nombre de moments charnières. Certaines décisions ont permis d’avancer ensemble en Europe, d’autres décisions par contre ont accru les inégalités.

 

Aujourd’hui, les défis auxquels l’Union européenne doit faire face sont colossaux.

 

Nous sommes au cœur d’une crise sanitaire exceptionnelle qui bouleverse la vie de nos citoyens et de nos entreprises. 

 

Nous devons aussi, dans le même temps, réussir la transition environnementale et le basculement vers l’économie numérique.

 

Comme si tout cela ne suffisait pas, nous devons encore gérer les importantes tensions intra-européennes autour de l’immigration, l’État de droit,  les questions de pénurie et d’autonomie stratégique et militaire, ainsi que la menace d’un conflit en Ukraine.

 

Ma conviction est que l’Union européenne, si elle veut réussir sa relance économique, sociale et écologique, ne peut pas négliger ses régions.

 

Les fonctions régaliennes sont habituellement assumées par les États centraux. 

 

Mais l’exercice des sommets européens à 27 montre les limites de ce processus. 

 

Le travail triangulaire, entre le Conseil, la Commission et le Parlement européens, est un mécanisme fort éloigné des citoyens.

 

Et totalement incompris par la population.

 

Or vous le savez, les  règlements et directives influencent de manière déterminante la vie quotidienne de nos concitoyens.

 

Les régions présentent cet avantage de mieux connaître leurs besoins essentiels. 

 

Les régions sont plus proches des réalités qu’ils vivent.

 

Bien souvent, les sommets entre chefs d’État et de gouvernement sont bridés par la recherche du plus petit commun dénominateur. 

 

J’en sais quelque chose !

 

Or, ce dont ont besoin les peuples d’Europe, ce sont des politiques efficaces et pragmatiques ; des politiques transparentes et comprises, des politiques porteuses de prospérité. 

 

Les régions d’Europe peuvent très largement contribuer à mettre sur pied ces politiques. 

 

Les régions parviennent plus facilement que les États à nouer des relations chaleureuses entre elles. 

 

Au-delà des appartenances nationales, ce qui lie les régions, ce sont bien sûr des réalités comparables et des aspirations analogues. 

 

Mesdames et Messieurs,

 

Alors que le cadre européen influence fortement l’action des autorités régionales, les régions sont trop indirectement associées aux décisions.

 

Je ne demande pas une association pour toutes les décisions ; les mécanismes actuels sont suffisamment complexes sans les régions.

 

Mais il serait de grande utilité d’associer effectivement, à minima, les régions, et en tout cas les régions à pouvoir législatif, lors des débats budgétaires et du Semestre européen.

 

Je donnerai deux exemples.

 

Depuis deux ans, ma région, la Wallonie, est aux avant-postes de la lutte contre la pandémie de covid 19. 

 

Elle exerce en effet d’importantes compétences en termes de santé, de protection sociale et de soutien à l’économie. Et cela en toute autonomie, sans pouvoir hiérarchique de l’État fédéral.

 

Par ailleurs, cet été, la Wallonie, comme d’autres régions voisines, a dû faire face à des inondations meurtrières jamais connues. 

 

Ces inondations ont dévasté une large partie du territoire, privé des milliers de citoyens de leur habitation et détruit de nombreuses infrastructures et outils économiques. 

 

Les moyens nécessaires pour la reconstruction se chiffrent en milliards d’euros, et la gestion de cette crise pèse lourdement sur les finances publiques.

 

La Wallonie n’est pas la seule région d’Europe à avoir dû ouvrir son portefeuille pour éviter des effets systémiques catastrophiques.

 

Dans ce contexte, il serait totalement injuste qu’une politique d’austérité soit à nouveau la ligne de conduite européenne lorsque  la clause dérogatoire du Pacte pour la Stabilité et de croissance sera levée. J’y reviens dans un instant.

 

Mesdames, Messieurs,

Chères et chers Collègues,

 

La Wallonie, comme les autres régions d’Europe, est résolument engagée dans la transition climatique et la poursuite de la transition numérique. 

 

Des financements importants tant publics que privés seront indispensables pour assumer cette double transition.

 

La Commission européenne a cité le chiffre de 650 milliards d’euros nécessaires d’ici à 2030 pour assumer ces transitions.

 

Je trouverais légitime que les régions, qui sont concernées au premier chef, aient davantage voix au chapitre au niveau européen.

 

C’est en tout cas le message que je porte en ce qui concerne la Wallonie.

 

D’une certaine manière, la spécificité constitutionnelle de la Belgique fédérale m’y autorise plus que d’autres présidents de région. 

 

En Belgique, et ce depuis le traité de Maastricht, des ministres régionaux sont habilités à représenter notre pays à la table de certains Conseils européens des ministres sectoriels. 

 

A l’heure actuelle, c’est la ministre de l’environnement de mon gouvernement qui siège au nom de la Belgique dans cette formation du Conseil. 

 

Votre nouveau président Jean-Claude Marcourt a exercé cette fonction tour à tour comme ministre de la recherche, de l’enseignement supérieur ou encore de l’industrie, dont il a d’ailleurs présidé les Conseils lors de la Présidence belge en 2010.

 

Et j’aurai vraisemblablement, à titre personnel, la responsabilité des réunions des ministres de la politique de cohésion lors de la prochaine présidence belge en 2024.

 

Mais il faudrait que d’autres Etats membres s’organisent de manière à réellement infléchir les processus européens par les visions régionales.

 

J’ai à titre d’exemple le souvenir du débat sur la mise en œuvre des règles comptables du SEC 2010. 

 

Le gouvernement wallon a fortement dénoncé les modalités de comptabilisation des investissements que le SEC 2010 a imposées. 

 

La comptabilité européenne SEC a gravement altéré les politiques d’investissement public des pouvoirs régionaux et locaux.

 

Notre participation directe au Conseil nous a permis d’exprimer notre préoccupation.

 

Mais la Belgique s’est trouvée être le seul État à porter cette position au niveau du Conseil.

 

Comme vous pouvez l’imaginer, la Commission n’a pas manqué de le relever.

 

Et pourtant, le Comité des Régions en avait fait le constat dans un de ses avis grâce à l’apport des régions et pouvoirs locaux d’Europe.

 

Aujourd’hui, on entend fort heureusement, au sein de la Commission européenne, qu’il faut revoir les modalités de prise en considération des investissements dans la comptabilité SEC et dans l’appréciation des déficits annuels de chaque Etat membre.

 

Mesdames et Messieurs,

Chères et chers Collègues,

 

Devant l’ampleur non anticipée de la crise sanitaire, l’Union européenne a eu un réflexe salvateur en desserrant temporairement le carcan du Pacte de Stabilité et de Croissance. 

 

Elle a aussi très bien fait en mettant en place un plan de relance de 750 milliards d’euros basé sur un endettement commun.

 

Sans cette décision inédite, le paysage économique et le tissu industriel de l’Union européenne auraient été profondément déstructurés pour longtemps.

 

Néanmoins, cette crise a fait apparaître de graves  lacunes, que les aides financières massives seules ne peuvent masquer.

 

L’Union européenne s’est forgée sur un certain nombre de règles communes, souvent dictées par les seuls intérêts économiques.

 

Le cadre de gouvernance économique produit des effets majeurs sur l’ensemble des niveaux de gouvernement, et plus particulièrement sur les gouvernements locaux et régionaux.

 

Au sein de l’Europe, les gouvernements locaux et régionaux pèsent lourd. 

 

Ils sont responsables de près du tiers de la dépense publique et de plus de la moitié de l’investissement public de l’Union, avec de fortes variations entre États membres. 

 

C’est une réalité que la Commission européenne feint d’ignorer trop souvent.

 

Son cadre de gouvernance économique est en partie responsable de la forte chute de l’investissement public qui a eu lieu après la crise financière de 2008.

 

Entre 2009 et 2018, l’investissement public dans son ensemble a baissé de 20% au sein de l’Union européenne.

 

L’investissement réalisé par les autorités locales et régionales a de son côté baissé de 25%, et de 40% ou plus dans plusieurs Etats membres parmi les plus touchés par la crise.

 

Ce désinvestissement est dramatique pour nous tous, et pour les futures générations.

 

Je le répète, il faut changer les modalités de la comptabilité SEC et des clause du Pacte. 

 

Certains de ces investissements auront un rendement économique incertain, notamment dans le domaine de la transition écologique, et s’inscriront dans une temporalité longue. 

 

Une forte implication du secteur public, au travers d’investissements publics ou de soutien à l’investissement privé, est donc nécessaire.

 

Mesdames, Messieurs,

 

Bien évidemment, des règles communes sont nécessaires entre des pays qui partagent une même monnaie. 

 

Ces règles doivent certes permettre de maîtriser l’endettement, mais sans tuer la croissance ni paralyser l’investissement. 

 

Ce sont là, pour moi, les conditions de notre prospérité future. 

 

A mon sens, le cadre budgétaire européen doit donc être réformé significativement pour autoriser une plus grande flexibilité.

 

Et les Régions doivent y être associése.

 

Des trajectoires budgétaires davantage adaptées aux réalités nationales et régionales garantiraient la marge budgétaire nécessaire à l’investissement. 

 

Le futur cadre budgétaire doit également être pensé comme un outil stratégique. 

 

L’économie européenne n’a toujours pas retrouvé son niveau d’investissement public de 2007. Ceci contribue au retard de l’Union européenne dans certains secteurs clés tels que l’industrie, la biotech ou le numérique.

 

Nous ne pouvons pas, d’un côté, doter l’Union européenne de plans ambitieux tels que le Pacte Vert, par exemple. 

 

Et de l’autre, nous priver de tout moyen pour concrétiser nos  ambitions.

 

C’est cette absence de cohérence de la politique européenne actuelle qui apparaît ici.

 

Il y a urgence à ce que les politiques qui touchent directement les citoyens – les politiques fiscales, sociales, en matière de santé… - fassent l’objet d’une harmonisation vers le haut.

 

Il est grand temps pour l’Union européenne de tirer profit de l’extrême expertise dont font preuve les Régions.

 

Il faut que ces politiques s’exercent dans une approche cohérente.

 

J’ai à l’esprit cet exemple du travailleur roumain qui au lieu de gagner 600 euros chez lui, s’exile en France ou en Belgique pour exercer un emploi payé 1.200 euros. Un emploi dont le Belge ou le Français ne veut plus. 

 

En Roumanie, il est remplacé par un travailleur asiatique, trop heureux de gagner 600 euros.

 

Si cela se trouve, l’entreprise qui l’emploie en Roumanie est belge ou française.

 

A part l’entreprise en question, il n’y a aucun gagnant dans ce schéma ; un schéma qui détermine pourtant les politiques sociales, migratoires et industrielles de l’Union.

 

La convergence des politiques me paraît fondamentale, mais elle ne sera réellement efficace que si l’on met également en œuvre une révision de la structure institutionnelle de l’Union.

 

Mesdames, Messieurs,

 

Le Traité de Maastricht a créé le Comité des Régions, dont nombre d’entre nous sommes membres.

 

Ce Comité prend en considération des réalités régionales et locales, les Etats ayant la faculté, chacun pour ce qui le concerne, de définir le type et le niveau de représentation. 

 

Une synergie renforcée entre votre organisation et le Comité des Régions serait un atout supplémentaire pour faire jouer un rôle significatif aux Régions

 

En conclusion, chers Collègues, il est dans l’intérêt de l’Union européenne que ses Régions soient davantage associées aux différents processus de l’Union européenne, et notamment en matière de finances publiques.

 

Telle est la substance de mon message aujourd’hui.

 

Merci pour votre attention.

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